1. Historique du collectif
Le centre des Archives, Recherches, Cultures Lesbiennes a été créé en 1983 à une époque où le milieu comme le mouvement lesbien étaient en plein essor : des groupes, associations, lieux existaient à Lille, Nantes, Nancy, Grenoble, Paris, Rennes, Lyon, Toulouse, Marseille, Tours, Rouen, Besançon, dans une rupture plus ou moins totale avec le féminisme hétérosexuel comme avec le mouvement homosexuel mixte. Des journaux et revues lesbiennes françaises et francophones étaient publiées : Lesbia, Espaces, L’Agendienne, Amazonnes d’hier, Lesbiennes d’aujourd’hui au Québec, les Lesbiannaires en Belgique, CLIT 007 en Suisse.
Ces groupes avaient conscience de se projeter vers l’avenir, le désir de réunir toutes les traces lesbiennes possibles ainsi que de se rendre visibles. Les ARCL se créèrent grâce à cette dynamique. Mais les années « théoriques » se vivront petit à petit au passé pour une grande majorité du milieu lesbien. L’arrivée au pouvoir du gouvernement PS en 1981 va provoquer petit à petit une dépolitisation, une disparition ou une intégration de nombre de mouvances en lutte. Bien sûr, la peur de la répression liée au pouvoir de droite disparaît et permet de développer une dynamique de visibilité ; mais cela se traduit aussi par un refus de poursuivre les analyses théoriques et des pratiques radicales et féministes, d’analyser l’oppression des femmes par le groupe social masculin, grille obligée pour « lire » la société libérale, raciste, machiste, blanche…
2. Le collectif
Raconter un lieu matériel, temporel, symbolique et vivant c’est aussi raconter les lesbiennes qui le font vivre.
De nombreuses lesbiennes ont participé à la vie du lieu, au développement du fonds, aux collectifs successifs. Il faut rendre hommage à Claudie Lesselier, historienne, qui est l’une de celles sans qui les ARCL n’existeraient pas.
« Maintenir les liens avec les associations, groupes ou journaux au niveau international est un travail permanent de relances car il y a toujours un danger que ceux-ci se relâchent et disparaissent », Claudie Lesselier (Bilan ARCL, bulletin n° 11, 1992).
Ces dernières années, le collectif s’est stabilisé avec 6 à 8 militantes actives. L’investissement dans le lieu Archives n’est pas un investissement politique et lesbien classique : il y faut des compétences techniques de classement, une connaissance approfondie du fonds comme de l’histoire du mouvement féministe et lesbien. Collecter les documents, trier, classer, ranger, rendre accessible à toutes. Par ailleurs, les archives accueillent cycliquement de nouvelles collaboratrices qui, en travaillant sur des thématiques personnelles, permettent de faire vivre le fonds en laissant une trace de leur travail.
Nous ne pouvons pas nous comporter comme un groupe de réflexions théoriques ou d’actions classique. Nous prenons peu de temps pour des débats, hors celui de l’archivage ; pourtant, nous nous sommes retrouvées sous des banderoles dénonçant l’hétéro-sexisme durant les grandes grèves sociales en 1995 en France, contre le Front National et à chaque Fierté lesbienne avec des mots d’ordre très radicaux. Mais nous sommes avant tout un centre de documentation.
3. Le fonds et sa politique de rassemblement
Existant depuis 1984, et ayant dès son ouverture – déjà – des documents datant de plus de 15 ans, les armoires, étagères et autres placards croulent aujourd’hui sous les livres, les dossiers, les boîtes de photos, cassettes audio, vidéos, affiches, badges, etc. !
L’évolution du fonds
A sa création entre 1982 et 1984, les lesbiennes du premier collectif, les Feuilles Vives » ont fait don de documents de littérature grise, de journaux du mouvement lesbien, féministe et homosexuel depuis 1971: tracts, affiches, photos, romans lesbiens, essais théoriques en français, anglais, allemand, espagnol…
En 1989 le collectif crée le premier Annuaire des Lieux Lesbiens Féministes et Homosexuels mixtes. Il fut la seule banque de données sur le sujet pendant plus de 5 ans.
En 1990 il y a plus de 80 revues en abonnement ou échange du bulletin des Archives Lesbiennes ; des centaines d’articles sur des écrivaines ; des dossiers thématiques ; un bulletin mensuel : onze numéros entre 1984 et 1992 (voir l’article d’A. Nenquin, Bulletin n° 11).
Une feuille d’info remplacera le bulletin de 1992 à 1994.
En 1998, l’association crée un calendrier pour s’autofinancer.
AUJOURD’HUI, QU’EN EST-IL ?
Début 2002, les ARCL rassemblaient plus de 3000 ouvrages : romans, essais, poésie, bandes dessinées, thèses, livres d’art…
Des centaines de revues, anciennes ou actuelles, de différents pays
Des milliers de documents de littérature grise, classés par années et/ou par thèmes.
De nombreux dossiers thématiques, composés de coupures de presse, tracts, affiches, références bibliographiques…
Une cinquantaine de thèses ou mémoires.
Plus de 300 vidéos, fictions et documentaires.
Des centaines d’affiches culturelles ou politiques
Des centaines de photos de manifestations.
Les fonds de plusieurs militantes décédées.
Cinq grands secteurs ont été développés en fonction des implications, des recherches du moment et de l’intérêt des lesbiennes du collectif :
– Arts plastiques grâce aux dons de nombreux livres d’art de personnes privées
– Vidéos en consultation libre sur téléviseur (plus de 300 titres documentaires, souvent émissions T.V., et fiction).
– Constitution d’une exposition de photos (plus de 200 photos choisies dans le fonds et agrandies format A3) retraçant l’histoire du mouvement lesbien et féministe (dons Catherine DEUDON, Odile DEBLOOS, Michèle CAMPBELL + fonds Archives)
– Fonds Cinéma féministe, lesbien et homosexuel avec de nombreux documents : scénarios, photos de films, brochures des festivals de nombreux pays
– Une revue de presse culturelle et politique qui se poursuit au court des ans…
– Nous avons fait revivre plusieurs thématiques du fonds par des créations de dossiers, d’un calendrier, Histoire du Mouvement Lesbien 70-80, Viol, Cinéma, Santé, Polar, Musique, Poésie et des dossiers des grandes « figures » comme Germaine DULAC, Monique WITTIG, Audre LORDE… pour des soirées de lectures ou de débats.
Vu le profil associatif, militant et bénévole de l’association, la politique de rassemblement et de mise en valeur des documents se fait depuis de nombreuses années selon :
– Les dons qui ont constitué le fonds.
– Les intérêts des militantes.
– Les événements politiques ou culturels du moment : par exemple, la guerre du Golfe nous a fait créer un dossier sur l’histoire du féminisme face aux guerres ; la guerre en Bosnie, regrouper des textes théoriques sur le viol ; le SIDA a impliqué un dossier sur la santé lesbienne, et un rassemblement de documents autour de la thématique Femmes et Sida ; les nombreux documents reçus sur les Contrats d’Union Civil et Social et le PACS nous ont permis de constituer un important dossier sur la question (coupures de presse, positions politiques, contenus des différents projets).
Mais le grand problème reste l’argent. Nous avons pu obtenir une subvention de la Mairie de Paris, mais nous fonctionnons grâce aux adhérentes, bénévoles et surtout par l’hébergement dans le lieu Maison des Femmes de Paris. La vente de l’Annuaire des Lieux, créé en 1989 a permis de fonctionner jusqu’à maintenant ainsi que les dons d’associations ou de personnes. Un millier d’exemplaires de cet Annuaire étaient vendus chaque année. Mais la 4ème parution s’est arrêtée en 1997, la banque de données ayant été pillée par des guides commerciaux vendus moins cher à grand renfort de publicités.
La bibliothèque est très fréquentée lors des consultations hebdomadaires des revues et documents. Mais les utilisatrices sont souvent étudiantes et ne peuvent pas toujours payer l’adhésion annuelle.
Nous poursuivons des projets qui mettent en valeur notre fonds et le rendent plus facilement accessible par la saisie des données en vue d’un libre accès de celles-ci aux utilisatrices et d’une mise en réseau avec une protection pour partie. Cela permettrait une connexion avec d’autres centres d’archives.
4. Le lieu
De 1984 à 1992, les archives se sont tenues dans un appartement privé de deux pièces, au 5e étage d’un immeuble parisien. Alors que le propriétaire fait pression pour que nous partions, un débat s’engage dans le collectif et parmi les adhérentes : certaines désirent poursuivre le projet dans un lieu autonome et non lié au féminisme (voir débat du collectif, Bulletin n° 11). Mais le choix de la totalité du collectif de l’époque est de se tourner vers le rez-de-chaussée de la Maison des Femmes (100m2 pour 1200 F/ mois).
Dès sa création en 1982, la Maison des Femmes de Paris est un lieu féministe et lesbien avec le MIEL (Mouvement d’Information et d’Echanges Lesbiens) qui y tient ses réunions et sa cafétéria, le groupe karaté, puis après 1990 le groupe de lesbiennes féministes UTOPIA, les Lesbiennes Internationales et le Groupe Santé Lesbienne.
Quatre ans plus tard, après avoir déménagé deux fois, les Archives lesbiennes intègrent en septembre 1997 le nouveau local de la Maison des Femmes de Paris, au 163 rue de Charenton. Le bilan sur cette cohabitation féministe et lesbienne est positif. Le lieu reste encore trop petit, les locaux étant polyvalents. Mais nous disposons de deux salles d’archives, d’une grande salle de projection et d’une salle commune pour des soirées – lecture, de débats et de concerts. Bien que le rêve soit d’avoir une réelle structure autonome, et au-delà de l’impossibilité de financer ce projet, il n’en reste pas moins que partager nos locaux avec d’autres associations féministes et lesbiennes de la Maison des Femmes de Paris permet de faire connaître les archives à d’autres femmes participant à des activités culturelles ou militantes et de profiter du rayonnement de cette association importante.
5. Les utilisatrices
Il y a celles « qui passent » pour savoir si nous possédons tel ou tel document ; celles qui viennent vers un lieu culturel, d’échanges de convivialité et de solidarité.
Les lectrices adhérentes viennent consulter des romans et des essais reflets de leur vie de lesbienne, les dernières acquisitions, des biographies, des documents sur des mouvements lesbiens marquants…
Les étudiantes ou chercheuses envoyées par des enseignants de leur département de recherches, plusieurs dizaines par an, font des recherches concernant des secteurs aussi différents que les arts plastiques, les mouvements lesbiens aux USA., le mouvement des lesbiennes radicales, le cinéma lesbien, la littérature francophone, la poésie, la bande dessinée lesbienne, le regard des féministes sur les lesbiennes butchs, les groupes féministes en Palestine, la santé, les premiers journaux, des images de lesbiennes, des textes sur le racisme, la procréation assistée, les mouvements de femmes sous loi musulmane…
6. Conclusion
Le collectif des ARCL garde pour objectif de collecter, archiver et proposer aux lesbiennes – comme à toutes les femmes – l’accès à un fonds documentaire, un des plus vastes en France, témoignant de leur histoire, de leurs luttes et de leurs différentes expressions.
L’association reste dans une mouvance politique non mixte assumée.
Les démarches de l’association sont aujourd’hui, au vu du soutien affiché de la Mairie de Paris aux associations lesbiennes comme gays, d’obtenir des subventions pour développer leur rayonnement, en professionnalisant le travail d’archivage et son suivi, grâce à des vacations rémunérées. Développer leurs utilisations pour toutes sans ségrégation et la possibilité d’une mise en réseau avec les autres centres d’archives existants ne peuvent que lutter contre la lesbophobie et l’invisibilisation persistante.